Feu dans la vaste cheminée de la ferme de mon enfance, maintenu en marche pour l’hiver, mis en veilleuse sous les cendres pour la nuit, feu de la cuisinière en fonte « Rosières » pour l’eau chaude et les repas, feu du potager (fourneau d’été à charbon de bois, bâti sous la fenêtre et paré de carreaux bleus), feux des champs, feux de la Saint-Jean, tous ces feux qui m’inspirent respect et enchantement.
Les jeux avec le feu, les allumettes, les feux d’artifices ne m’attirent pas. On m’a appris le feu, non pour s’amuser, mais pour cuire les repas et pour se chauffer. Plus tard, j’ai appris le feu pour créer des formes. Faire naître un objet, en imprimant, d’un geste, dans une poignée de terre, ma volonté, puis la fixer par le feu, me donnait le pouvoir d’un démiurge.
Conduire un four de potier exige la maîtrise des phases successives de la cuisson.
LE « RESSUYAGE », montée lente et régulière de la température élimine de l’argile l’humidité résiduelle du façonnage.
LE « PETIT FEU », à allure prudente, permet de franchir sans dommage les 573 degrés Celsius du « Point Quartz » au delà duquel l’argile a muté de manière irréversible à l’état de Céramique.
LE « GRAND FEU » attaque, allegro ma non troppo, la phase la plus puissante de la cuisson. La température doit s’élever avec une flamme claire. Il faut donner au four ce dont il a besoin, sans le suralimenter.
L’atmosphère de combustion sera ajustée – oxydante ou réductrice – en fonction des couleurs d’émail recherchées.
LE « PALIER DE CUISSON », sorte d’étiage, stabilise et égalise la température finale.
Pour obtenir la progression de la température du four, le chargement du bois dans les foyers varie, se rapprochant, à chaque étape, de la « chambre de cuisson » dans laquelle sont disposées les poteries à cuire et vers lesquelles on déplace la section la plus efficace de la flamme.
On surveille la chute « des montres fusibles » (cône en céramiques qui servent de témoins successifs de maturation de la cuisson) :
-la montre 1250° annonce
-la montre 1280° marque le point atteint
-la montre 1300° confirme la fin de la cuisson
Le cycle d’une cuisson équivaut à la durée d’une journée.
Comme pour le forgeron, le potier maîtrise la connaissance ancestrale « des couleurs de feu » c’est à dire l’état successif d’incandescence des objets contenus dans le four : du rouge naissant au blanc éclatant, en passant par cerise foncé et cerise clair, orange foncé et orange clair… blanc, blanc éclatant, blanc soudant…